Page 152 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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les conséquences ; et, avec cette présence d’esprit qui lui est
habituelle, il écarte les esclaves, s’élance sur Myrmex et le soufflette
à belles mains, tout en ayant soin de ne pas frapper trop fort. Ah !
drôle, disait-il, ah ! gibier de potence ! Puisse ton maître que voilà,
puissent tous les dieux que tu as outragés par tes parjures, te traiter
comme tu le mérites, pour m’avoir hier volé mes sandales au bain ! On
devrait te laisser ces liens jusqu’à ce qu’ils tombent d’eux-mêmes ; te
faire pourrir au fond d’un cachot. Cette diversion adroite, l’air
d’assurance du jeune homme, en imposèrent à Barbarus, qui donna en
plein dans le panneau. De retour chez lui, il fait appeler Myrmex, lui
remet ses sandales, et d’un ton radouci : Va, dit-il, les rendre à leur
maître, à qui tu les as volées.
La vieille n’avait pas achevé ce bavardage, que la boulangère
s’écria : Ah ! qu’une femme est heureuse d’avoir un amant si ferme et
si sûr de lui ! Quant à celui qui m’est tombé pour mon malheur, tout
l’effraye, rien que le bruit de la meule, et jusqu’à ce museau d’âne
galeux là-bas. Eh bien ! dit la vieille, je me fais fort de vous arranger
un rendez-vous avec l’autre. Il a du cœur et de la tête celui-là ! Et là-
dessus elle se retire, promettant de revenir le soir. Tout aussitôt la
pudique épouse prépare un vrai repas de Saliens, vins fins bien
clarifiés, plats recherchés et bien relevés, en un mot chère exquise de
tous points. Puis la voilà attendant son complice, comme elle eût fait
quelque dieu. Ce jour-là, fort à propos, son mari soupait en ville chez
un voisin, foulon de son métier. Quant à moi, vers midi on m’avait
dételé, et laissé tranquillement discuter ma pitance. J’étais heureux,
non pas tant de ce moment de relâche, que parce qu’on m’avait
débandé les yeux, et que je pourrais enfin ne rien perdre des faits et
gestes de ma scélérate de maîtresse. Le soleil avait enfin disparu sous
les flots pour éclairer les régions souterraines du globe, lorsqu’arrivent
côte à côte la vieille et le blondin. C’était un tout jeune homme, à
peine hors de l’enfance, et bien fait, par la fraîcheur et l’éclat de son
teint, pour tenter lui-même les galants. On lui prodigue les baisers.
Mais à peine la coupe de bienvenue a-t-elle effleuré ses lèvres, à
peine a-t-il senti quel goût a le vin, que survient le mari, que l’on
n’attendait guère. La chaste moitié se répand en imprécations, lui
souhaite une jambe cassée. L’amant n’a pas une goutte de sang dans
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