Page 10 - Histoire d'ANNIBAL par Cdt Eugène HALLIBERT 1870 - DZWEBDATA
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               La  Phénicie  n'était  pas,  à  proprement  parler,  un  Etat,  et  son  organisation
               politique  formait  un  singulier  contraste  avec  celle  des  grandes  monarchies
               asiatiques.  Ce  n'était  qu'un  ensemble  de  villes  isolées,  auxquelles  les  besoins
               d'une  défense  commune  avaient  imposé  le  système  fédératif,  et  qui  s'étaient
               constituées en ligue déjà vers le temps de Moïse. A des époques déterminées se
               tenait une diète générale. Les représentants des villes liguées se réunissaient à
               Tripoli pour y délibérer sur les intérêts de la confédération.

               Ordinairement, l'une des cités phéniciennes prenait une sorte de supériorité sur
               les autres, mais seulement à titre de capitale fédérale. Sidon fut d'abord à la tête
               de  la  confédération  ;  plus  tard,  du  règne  de  Salomon  à  celui  de  Cyrus,
               l'hégémonie échut à Tyr2.

               Quelle était la constitution intérieure de ces villes phéniciennes ?

               Chacune  avait  son  organisation  particulière,  et,  bien  que  gouvernée  par  des
               rois3, formait en réalité une république urbaine indépendante. Le pouvoir royal,
               exempt  de  toutes  formes  despotiques,  y  était  sagement  limité  par  de  fortes
               institutions religieuses et civiles. Les magistrats municipaux marchaient de pair
               avec le roi4, et, après le roi, une puissante caste sacerdotale pesait de tout son
               poids sur la direction des affaires5.

               Les divinités de Sidon et de Tyr n'étaient que des personnifications des forces de
               la nature, et par conséquent des êtres dépourvus de tout caractère moral.

               Les  mœurs  corrompues  et  la  licence  effrénée  des  villes  de  la  Phénicie6  ne
               peuvent plus dès lors être pour nous un sujet d'étonnement. Les Chananéens ne



               1 Le mot ruche est ici parfaitement exact. Chaque fois qu'une cité phénicienne
               se sentait saturée de population, elle laissait échapper un essaim, qui allait se
               poser  à  quelque  distance  de  sa  métropole.  Les  villes  du  littoral  syrien  furent
               successivement colonies l'une de l'autre.

               Sidon,  la  fille  aînée  de  Chanaan,  créa  Tyr  pour  en  faire  une  échelle  de  son
               commerce.  Aradus  est  une  autre  colonie  de  Sidon  ;  Tripoli,  une  colonie
               commune de Sidon, de Tyr et d'Aradus.

               2 Ezéchiel, XXVII, 8, 11. — Josèphe, Antiquités judaïques, IX, XIX.

               3 Ces rois étaient héréditaires, mais des bouleversements politiques amenèrent
               souvent  des  changements  de  dynastie.  L'historien  Josèphe  (Contre  Apion,  I)
               nous  a  donné  la  liste  des  rois  de  Tyr  depuis  Hiram,  contemporain  de  David,
               jusqu'au siège de la ville par Nabuchodonosor.

               Ézéchiel  (XXXVIII,  4,  5,  12,  13,  16)  nous  fait  connaître  la  puissance  du

               souverain  de  Tyr.  4  Arrien  (II,  XXIV,  XXV)  les  appelle  οί  έν  τέλει.  Ces
               magistrats étaient les législateurs de la ville ; ils avaient aussi part au pouvoir
               exécutif et nommaient les ambassadeurs.

               5 Les prêtres de Baal, fort nombreux (Rois, I, XVIII, 22), étaient tout-puissants
               dans le gouvernement. Ceux de Melkarth (Melek-Kartha, seigneur ou roi de la
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