Page 3 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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            Je  veux  ici  coudre  ensemble  divers  récits  du  genre  des  fables
         milésiennes.  C’est  une  assez  douce  musique,  et  qui  va  chatouiller
         agréablement vos oreilles, pour peu qu’elles soient bénévoles, et que
         votre goût ne répugne pas aux gentillesses de la littérature égyptienne,
         à l’esprit des bords du Nil. Vous verrez mes personnages, ô merveille !
         tour à tour perdre et reprendre, par l’effet de charmes opposés, la forme
         et la figure humaine. Je commence ; mais, d’abord, quelques mots sur
         l’auteur. Les coteaux de l’Hymette, l’isthme d’Éphyre, le Ténare, sont
         en commun le berceau de mon antique lignée. Heureuses régions, si
         riches des dons de la terre, plus riches encore des immortels dons du
         génie ! Là, ma jeunesse studieuse a fait ses premières armes par la
         conquête de la langue grecque. Transporté plus tard sur le sol latin,
         étranger au milieu de la société romaine, il m’a fallu, sans guide et
         avec  une  peine  infinie,  travailler  à  me  rendre  maître  de  l’idiome
         national. Aussi je demande grâce à l’avance pour tout ce qu’un novice
         peut porter d’atteintes et à l’usage et au goût. Mon sujet est la science
         des  métamorphoses.  N’est-ce  pas  y  entrer  convenablement,  que  de
         transformer d’abord mon langage ? Du reste, tout est grec dans cette
         fable. Attention, lecteur ! le plaisir est au bout.
            Certaines affaires m’appelaient en Thessalie, dont vous saurez que
         je  suis  originaire  aussi ;  car  je  me  glorifie  d’une  descendance
         maternelle, dont la souche n’est rien moins que l’illustre Plutarque et
         son neveu le philosophe Sextus. Je gagnais donc la Thessalie, tantôt
         gravissant les monts, tantôt plongeant dans les vallées, et foulant tour
         à tour l’herbe des  prairies et  les sillons des  guérets.  Je montais  un
         cheval du pays, au poil blanc sans tache ; et, comme la pauvre bête
         était rendue, que je n’étais pas las moi-même de me tenir en selle, je
         mis  un  moment  pied  à  terre  pour  me  dégourdir  en  marchant.  Je
         commence  par  bouchonner  soigneusement  mon  cheval  avec  une
         poignée de feuilles, pour étancher la sueur qui le couvrait. Je lui passe
         et repasse la main sur les oreilles ; je le débride. Puis je le mets au petit
         pas,  pour  lui  procurer  le  soulagement  ordinaire,  l’évacuation  d’un



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