Page 8 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
P. 8

apprendre à employer ses  forces  ailleurs. Elle avait pour voisin un
         vieux cabaretier qui  lui faisait  concurrence :  Elle l’a transformé en
         grenouille ; et c’est en coassant du fond de son tonneau, où il barbotte
         dans sa lie, que le pauvre homme appelle aujourd’hui les chalands.
         Elle a fait un bélier d’un avocat qui avait un jour plaidé contre elle ; il
         n’avocasse plus maintenant que des cornes. Enfin la femme d’un de
         ses amants laisse un jour échapper contre elle je ne sais quel propos
         piquant. La malheureuse était enceinte : chez elle soudain les voies de
         l’enfantement se ferment ; son foetus devient stationnaire ; et la voilà
         condamnée au supplice d’une gestation sans terme.Il y a, de compte
         fait, huit ans qu’elle porte son fardeau ; son ventre est tendu comme si
         elle devait accoucher d’un éléphant.
            Mais ce dernier trait et beaucoup d’autres ont fini par attirer sur
         Méroé  l’indignation  générale.  On  convient  un  beau  jour  que  le
         lendemain  on  ira  la  lapider  en  masse,  pour  satisfaire  la  vindicte
         publique ; mais elle a déjoué le plan par son art. Comme la magicienne
         de Colchos, à qui un seul jour de répit obtenu de Créon suffit pour
         réduire en cendres et le palais et la fille et le père,cette autre Médée
         (c’est elle qui me l’a conté dernièrement, étant dans les vignes) n’eut
         besoin que d’opérer certaines pratiques sépulcrales autour d’une fosse,
         et soudain chaque habitant se vit claquemuré dans sa maison par la
         seule force du charme ; et cela, sans qu’il fût possible à personne de
         forcer une serrure, d’enfoncer une porte, de percer une muraille. Si
         bien qu’après deux jours de réclusion, c’était à qui proposerait de se
         rendre ; et tous criant à l’unisson, s’engagèrent sous les serments les
         plus  sacrés  à  ne  rien  entreprendre  contre  elle,  à  la  protéger  même
         contre toute violence. Alors elle se laissa fléchir, et leva les arrêts de
         la ville. Quant à l’auteur du complot, toujours tenu en prison chez lui,
         par  une  belle  nuit,  lui  et  sa  maison,  sol,  fondations  et  tout,  furent
         transportés à cent milles de là sur une montagne à pic, où l’on manque
         d’eau. Et comme il s’y trouvait une ville dont les bâtiments pressés ne
         laissaient aucune place au nouveau venu dans leur enceinte, elle le
         planta là en dehors des portes.
            Mon cher Socrate, repris-je alors, voilà qui est merveilleux, et qui
         n’est  pas  aussi  gai.La  peur  me  gagne  à  mon  tour,  et  une  peur  qui
         compte.  Vraiment  je  suis  dans  les  transes.  Si  ta  vieille,  par  ses



                                          8
   3   4   5   6   7   8   9   10   11   12   13