Page 4 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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liquide superflu.
            Or, tandis qu’allongeant le cou et se tordant la bouche, mon coursier
         prélève,  chemin  faisant,  son  déjeuner  sur  les  prés  de  droite  et  de
         gauche, insensiblement je me trouve en tiers avec deux compagnons
         de  route  qui,  d’abord,  avaient  eu  quelque  avance  sur  moi.  Prêtant
         l’oreille à leurs discours, j’entendis l’un d’eux s’écrier avec un éclat
         de  rire :  Allons  donc !  trêve  de  balivernes !  assez  de  ces  contes
         absurdes !
            À ce propos, moi, toujours affamé de ce qui est nouveau : Faites-
         moi part de votre entretien, leur dis-je. Sans être curieux, j’aime à tout
         savoir, ou à peu près. Voici une côte assez rude ; l’intérêt du récit va
         nous en faciliter la montée.
            Mensonges fieffés ! reprit celui que je venais d’entendre. Autant
         vaudrait  me  soutenir  qu’il  suffit  de  marmotter  deux  ou  trois  mots
         magiques, pour faire refluer les rivières, enchaîner, fixer les flots de la
         mer, paralyser le souffle des vents, arrêter le soleil dans son cours, faire
         écumer la lune, détacher de leur voûte les étoiles, et substituer la nuit
         au jour.
            Me mêlant alors tout à fait à la conversation : L’ami, dis-je, vous
         qui  étiez  en  train  de  conter,  reprenez,  je  vous  prie,  le  fil  de  votre
         histoire,  si  ce  n’est  trop  exiger  de  votre  complaisance.  Puis,  me
         tournant vers l’autre : Vous qui faites ici la sourde oreille, qui sait si ce
         n’est pas là la vérité même ? Ah ! vous ne savez guère à quel point la
         prévention aveugle. Un fait est-il nouveau, mal observé, au-dessus de
         notre portée, c’est assez pour qu’il soit réputé faux. Examinée de plus
         près, la chose devient évidente, et, qui plus est, toute simple.
            Hier, je soupais en compagnie, et les convives donnaient à l’envi
         sur une tourte au fromage. Je ne voulais pas être en arrière, et j’avalais
         à  l’étourdie  une  assez  forte  bouchée  de  cette  pâte  glutineuse,  qui,
         s’attachant  aux  parois  inférieures  du  gosier,  m’interceptait  la
         respiration. Un peu plus, je suffoquais. Or, il n’y avait pas longtemps
         qu’à Athènes, devant le portique du Pécile, j’avais vu, des deux yeux
         que voici, un opérateur avaler par la pointe un espadon de cavalerie
         tout des plus tranchants. L’instant d’après, le même homme, pour un
         denier,  s’introduisait  dans  les  intestins,  par  le  bout  dangereux,  un
         véritable épieu de chasseur : si bien qu’on voyait la hampe ferrée de



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