Page 5 - L'ane d'Or - auteur : APULEE- Libre de droit
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l’arme, ressortant du fond des entrailles de ce malheureux, dominer
         au-dessus de sa tête. Suspendu à cette extrémité, un enfant aux formes
         gracieuses et suaves exécutait mille évolutions aériennes, se repliant
         sur lui-même avec une souplesse onduleuse, à faire douter qu’il fût de
         chair et d’os. Nous autres assistants, nous restions ébahis. On eût dit
         le caducée du dieu de la médecine, avec ce beau serpent dont le corps
         flexible s’enroule si bien autour de ses nœuds et de ses tronçons de
         rameaux. Mais voyons ; reprenez le fil de votre histoire. Moi, je vous
         promets de croire pour deux, et, au premier gîte, vous aurez la moitié
         de mon souper. Le marché vous convient-il ?
            On  ne  peut  mieux,  reprit  mon  homme ;  mais  il  faudra  tout
         recommencer. D’abord je jure, par ce divin soleil qui nous éclaire, que
         je ne dirai rien dont je ne puisse prouver l’exactitude ; et vous en aurez
         le cœur net à la première ville de Thessalie que nous allons rencontrer.
         C’est  le  sujet  de  tous  les  entretiens ;  les  faits  y  sont  de  notoriété
         publique.
            Mais il est bon aussi que vous sachiez qui je suis, quel est mon pays
         et ma profession. Je suis d’Égine. Je fais le commerce de miel d’Etna,
         fromages et autres denrées qui forment la consommation habituelle
         des auberges. La Thessalie, l’Étolie, la Béotie, sont le cercle de mes
         tournées ; je les parcours en tout sens. Ayant donc appris qu’à Hypate,
         ville capitale de toute la Thessalie, il y avait un grand marché à faire
         sur des fromages nouveaux d’un goût exquis, je m’y dirigeai en toute
         hâte, bien résolu à acheter toute la partie. Mais je m’étais mis en route
         du pied gauche, et, comme de raison, je manquai cette bonne affaire.
         Dès la veille, un gros spéculateur, nommé Lupus, avait tout accaparé.
         La nuit commençait à tomber, et las de m’être tant pressé pour rien, je
         me rendis aux bains publics.
            Tout à coup, j’aperçois Socrate, un de mes compatriotes, assis à
         terre, couvert à moitié des restes d’un méchant manteau, et devenu
         méconnaissable à force de maigreur et de malpropreté. Il avait tout
         l’air d’un de ces rebuts de la fortune qui vont mendiant par les rues.
         C’était un ami, une vieille connaissance, et pourtant je l’abordai sans
         être bien sûr de mon fait. Hé ! mon pauvre Socrate, lui dis-je, que veut
         dire ceci ? quel extérieur misérable ! quelle abjection ! chez toi on t’a
         cru mort ; on a pleuré, on a crié dans les formes. Il a été pourvu à la



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